Même si vous connaissez déjà l’histoire des Penn Sardin, ces ouvrières de la mer qui, à Douarnenez, en 1924, ont tenu tête aux exploiteurs de leur misère, cette biographie collective fourmille de détails qui vous rendent tangibles, proches, incarnées. Elles sont là, dans les entrailles des poissons, le bruit de leurs sabots qui dévalent les ruelles de la ville, parées à l’appel de l’usine, le poisson arrive, il faut faire vite pour le préparer à la mise en boite, laisser les enfants seuls. Elles courent, rejoignent les différents postes, restent debout, 10 à 18 heures d’affilée devant cet « or » de la mer, dont elles ne tirent que quelques sous.
Avant la grande grève, les patrons des conserveries n’ont que faire du droit du travail alors en vigueur. Heures de jour, heures de nuit, sont au même tarif, les heures d’attente ne sont pas payées, les petites filles de huit ans sont les petites mains, on les planque en cas d’inspection, les heures supplémentaires ne comptent pas au nom du diktat du poisson dont « la fraicheur n’attend pas ».
L’autrice reprend les éléments historiques dans l’ordre chronologique en insérant, du moins au début, les témoignages de ces femmes, recuillis en 1930 par Anne Denez Martin. Ces passages en italiques rythment la description d’un quotidien de travail où les labeurs s’accumulent, les soins du ménage, car ces femmes ont le goût du beau, la lessive aux lavoirs, les filets à réparer … Lors des fêtes, elles se font cependant remarquer remarquer par leur élégance. Et pourtant, elles ne forment as une communité, ne sont ni politisées, ni féministes, Elles étaient une force et elles ne le savaient pas. Elles étaient dans l’ombre et y retourneront après leur victoire.
Le mouvement fut spontané, ni organisé, ni instrumentalisé. Mais, par contre, il fut soutenu par de sacrées figures, ceux qui vont venir donner un coup de main, « tenir le coude ». Du parti communiste, avec Charles Tillon et et lucie Colliard et surtout du maire de la ville, Daniel Le flanchec, communiste lui aussi, mais dans le genre franc tireur, tonitruant, tout en tambour et trompettes. Il met à leur disposition toutes les ressources municipales possibles. Et les femmes défilent, dans la rue, et chantent, l’internationale et des hymnes de leur crue, parodiant les puissants. La solidarité leur a permis de tenir six semaines alors que les patrons ne veulent rien entendre, alors que même le préfet ne permet pas l’usage de la force, que Paris finit par les recevoir. Les Carnaud, les Bézier, ces messieurs fortunés et méprisant vont même jusqu’à embaucher des jaunes, des « apaches » pour faire la peau à Le Flanquec. Tentative de meurtre qui précipite la victoire des femmes. Ils capitulent. Douarnenez festoie et le bruit des sabots claquent en mots de la révolution, toujours « l’internationale » …, Mais les Penn Sardin ne sont devenues ni communistes, ni féministes, elles retournent à l’usine, mieux payées, et on peut l’espérer, mieux considérées… Mais le texte ne le dit pas et les laissent s’éloigner.
Peut-être que la documentation manque, peut-être que les archives n’ont pas gardé trace de ces femmes, seulement des prénoms, dont l’autrice fait d’ailleurs une liste courte mais on les perd de vue, les Leonie, les Suzanne, les Anna, les Yvonne . Un détail est révélateur, des quatre femmes reçues à Paris, trois ont des noms et prénoms et l’une est seulement désignée par une appellation » une dame Morvan ». Ce coup ci, hélas, l’histoire n’a pas été écrite par les vainqueurs.
Une lecture commune avec Inganmic, Moka et Des livres Rances dans le cadre des lectures proposées pour cette année :le monde du travail et des ouvriers.
Et aussi une participation à l’activité Mars au féminin
Cette carence d’archives, significative de la considération -ou plutôt de son absence- accordée à ces ouvrières, peut en effet faire regretter que nous n’en sachions pas davantage sur ces femmes et sur le quotidien des jours de grève. Mais j’ai aimé incursion bretonne, la dynamique qu’Anne Crignon donne à son récit, la vitalité de ces Penn Sardin, les témoignages si touchants de leurs enfants…
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Cette absence d’archives est en effet significative et heureusement qu’il y a les témoignages insérés dans le récit qui donnent à entendre les vraies voix de ces femmes. Parce que souvent, on a l’impression qu’il y a toujours quelqu’un qui parle à leur place : le maire, C. Tillon … C’est frustrant, même si le récit est bien mené.
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Je ne connaissais pas cet épisode mais à présent, grâce à vos billets, j’ai très envie d’en savoir plus.
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Si tu ne connais pas du tout cette histoire, tu n’auras peut-être pas la même impression que moi qui la connaissais déjà bien et je pensais avoir de nouveaux éléments, notamment sur l’organisation quotidienne de la grève. Le récit est cependant non seulement instructif mais agréable à lire, pas trop documenté, et pour cause, hélas …
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très envie de lire ce livre, leur combat a marqué les Bretons.
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Oh que oui, damm, aurait dit ma grand mère ! ( bien bretonne de la côte sud !). cette histoire , je la connais depuis que je suis petite !
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« L’histoire n’a pas été écrite par les vainqueurs » : c’était un courageux combat et il n’est pas question de le minimiser mais la victoire n’est peut-être pas si éclatante. Je me dis que ces femmes n’ont gagné que des miettes en comparaison des profits réalisés sur leur dos, non ?
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Tu as pleinement raison. Oui, elles ont gagné, mais sont restées des « ouvrières de la mer ». D’après l’autrice, les Penn sardin avant la grève étaient les ouvrières les plus mal payées de France, elle ne dit pas si après leur salaire était dans la moyenne, mais en tout cas, on peut supposer qu’il ne leur a pas été accordé non plus une fortune ( ce qu’elles ne demandaient pas d’ailleurs). C’est aussi ce qui m’a frappé dans ce récit, cette forme de modestie de leurs revendications.
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Je ne connaissais pas ce mouvement de grève et son histoire. Le travail harassant a aussi cet avantage pour les patrons qu’il rend difficile toute combativité (pas le temps, pas l’énergie de se mobiliser ni même de réfléchir à sa condition). Heureusement, ici, elles ont obtenu des améliorations.
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Si tu ne connais pas cette histoire, je te conseille fortement ce livre ou les podcasts recommandés par Ingannmic, Car, oui, ce mouvement est étonnant, dans sa spontanéité mais aussi dans le soutien qu’elles ont reçu et sans lequel elles n’auraient pas pu tenir aussi longtemps. Le portrait fait des patrons montrent la force à laquelle elles ont eu à faire face, l’argent soit, mais aussi le mépris.
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Belle idée que ce livre ! On parle peu des mouvements féministes français. Merci pour l’idée 🙂
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Elles ne sont pas vraiment féministes, ce n’est pas du moins comme cela qu’elles apparaissent dans le récit. Une seule d’entre elles, d’ailleurs aura une « carrière » politique après la grève, la plupart reprennent le chemin des usines. Mais pouvaient-elles faire autrement ? Le récit montre bien que c’est elles qui assuraient l’économie familiale !
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Je m’explique, je voulais dire que l’on parlait peu de mouvement ouvriers de femmes 😉
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C’est intéressant, la manière dont ce mouvement est né spontanément, par des femmes qui n’étaient pas politisées… Il me rappelle une de mes lectures, « Tea rooms, femmes ouvrières » de Luisa Carnès, écrit par une femme en 1934…
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C’est ce qui m’a frappée, parce que chez moi, dans ma famille ( bretonne et fortement marquée par la culture ouvrière), cette histoire était souvent évoquée comme liée au parti communiste, ce qui est vrai visiblement, mais pas du côté des femmes elles-mêmes, ce que je croyais quand même un peu.
Je ne connais pas le titre que tu évoques, il y a tellement à lire sur ce sujet passionnant que nous propose Ingannmic !
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La semaine dernière, France Culture rediffusait une émission sur elles, que j’ai trouvée passionnante. Je ne connaissais pas l’histoire de cette grève, elles ont eu beaucoup de courage ces femmes. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-histoire-particuliere/la-grande-greve-de-1924-2631990
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Un très bon podcast ! Je l’avais écouté il y a un certain temps. A recommander pour faire connaissance avec ces sacrées bonnes femmes ( toujours dixit ma grand mère !)
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Merci, je note l’histoire de ces femmes qui ont eu un courage certain !
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Et quand on lit toutes les tâches qu’elles portaient à bout de bras, on est juste éberluées !
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Dommage qu’on reste un peu sur notre faim concernant la documentation, mais ça semble être un ouvrage qui vaut tout de même le détour pour son sujet.
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L’autrice souligne le manque d’archives plus précises, c’est un peu frustrant ( du moins, pour moi …) Mais pas tellement étonnant en fait, elles sont retournées à l’usine, alors pas la peine d’en faire toute une histoire, et sûrement pas un exemple ( du point de vue des contemporains, je veux dire.)
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Je pensais avoir vu ton billet, non, c’est celui de ta co lectrice! Merci d’en parler en tout cas. Frustrant, je le conçois, ce manque de documents, mais ça se comprend, vu l’époque et sans doute l’oubli assez tôt. Mais je préfère ça à un roman où on invente une héroïne bien ceci ou bien cela. ^_^
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On était quatre co lectrices en fait ! Et dans l’ensemble, on se rejoint sur la qualité de ce titre. J’ai l’impression que je suis la plus frustrée par le manque de documentation plus précise sur la lutte en quotidien de ces femmes mais c’est sûrement parce je connaissais déjà bien les éléments politiques de leur histoire, la figure du maire et le rôle du parti communiste.
Mais, il est vrai que inventer ce dont on n’a pas trace du tout n’aurait pas été judicieux.
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J’ai ainsi découvert le blog de Des livres Rances…
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J’ai l’impression que tu es moins convaincue que Moka, peu importe, le sujet m’intéresse beaucoup.
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