La jurée, Claire Jehanno

csm_Jure__s_d_assises_6546c82ee0Prof de collège, la trentaine solitaire et discrète, Anna Zeller est très fière d’être la jurée numéro 23 au procès numéro 2 de la session de la cour d’assise de l’Eure et Loire. Un couple est accusé du meurtre d’une vieille dame, Gilberte Gagneron, 73 ans, retrouvée morte dans sa salle à manger avec un flacon d’anti dépresseur, un verre d’eau, une carafe et des marques de strangulation autour du cou. Les coupables seraient son petit neveu, Frédéric, et sa compagne, Lucile. Cela fait trois ans qu’ils sont en prison et Anna est l’un des jurés qui devra décider en quatre jours d’audience si il s’agit d’un meurtre déguisé en suicide par les jeunes gens, les deux, un seul, avec ou sans préméditation.

Anna n’est pas du genre que l’on distingue, elle aime les règles, les suit, traverse au passage piéton. Alors, cette expérience de jurée, elle dit la vivre comme une aventure, un moment exceptionnel, d’enrichissant, elle a même l’impression d’avoir gagné au loto en étant « sélectionnée ». Les ors de la République, l’idée de justice, on le sent, cela l’exalte d’un quotidien fort morne, comme enterré dans le passé.

Anna fut une petite fille pétillante pourtant. Avec ses parents et sa petite soeur, Maxine, elle habitait un petit village, un microcosme rassurant où avec son oncle, son oncle, sa tante et sa cousine, Aurore,  s’organisait des gouters, des rituels, les spectacles de l’enfance … Les trois filles sont toujours ensemble, chouquettes du mercredi après midi sur le chemin de la maison après l’école, tours de vélos et genoux couronnés. Un soir de match, les deux pères s’attardent un peu, et Aurore disparaît du square où elle jouait avec sa cousine. Quelques mois plus tard, Hélène embarque ses filles, Anna et Maxine pour la ville du Mans, le passé jeté dans le trou noir. Elles s’appelaient Boulanger, un nom reconnu dans le village, elles deviennent Zeller, avec deux ailes tordues. Le père disparait dans le trou, resté au village et la mère referme le cocon sur elle trois, seulement elles trois. Aurore n’a jamais été retrouvée.

Le récit mêle ces deux histoires, toutes les deux à reconstituer, la première à partir des faits au tribunal, des faits contradictoires et à trous, la seconde, à partir de la mémoire d’Anna et des non-dits sur lesquels elle a bâti sa version de la disparition d’Aurore : la convocation du père à la gendarmerie, le silence de sa soeur qui était avec Aurore, la fuite de la mère.

Au tribunal, l’enthousiasme du départ se mue en angoisse, l’injonction de se faire une intime conviction taraude Anna. Si Frédéric, le premier jour, lui a fait bonne impression, il se durcit et se renferme, sa compagne s’effrite … Une jurée, Marjolaine, grande amatrice de fait divers, s’immisce dans le passé de la jeune femme, lui fourrant dans son sac des articles relatant les recherches vaines, vingt ans auparavant. Aurore pèse alors de toute son ombre dans le récit, au détriment de la concentration d’Anna et de mon intérêt, il faut bien le dire … Car les deux « enquêtes » entremêlent tellement les mêmes thèmes rebattus que le tempo s’étire : enfances meurtries, défaillances des pères, poids des mères, celles des accusés, celle d’Anna. Les mémoires sont friables, les enfants manipulables, les mots sont parfois des mensonges. Les arcanes de la justice, le poids de l’intime conviction, tout ce qui avait fait mon intérêt pour ce titre s’est dilué au profit du cheminement intérieur du personnage qui s’introspecte à tour de phrase. Quand le couperet des vérités tombe, c’est dans un non suspens, les apparences sont trompeuses et les fantômes rangés au placard. Tout propres et à leur place de fantômes.

20 commentaires sur “La jurée, Claire Jehanno

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    1. Par rapport à d’autres titres sur le fonctionnement de la justice, comme « Les nuits que l’on choisit », que tu as apprécié comme moi, l’analyse est vraiment faiblarde … Je l’avais vraiment retenu pour être dans la tête d’un juré. On y est bien, mais comme le personnage pense la moitié du temps à sa propre histoire, on survole le procès. C’est dommage !

      Et j’ai quand même aminci ma pile, puisque ce titre y était depuis Noël ! (mais il en reste encore des plus anciens ^-^)

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  1. Une bonne histoire de jurée aurait pu suffire en elle-même pour moi. La deuxième intrigue est en effet du déjà-vu qui vient brouiller l’intérêt du procès… Je ne le note pas et te remercie pour ton avis !

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    1. Tu m’enlèves les mots de la bouche ! C’est exactement cela. Par contre, si le sujet de la justice t’intéresse « Les nuits que l’on choisit » a beaucoup plus de fond. Les procès y sont vus par une chroniqueuse judiciaire.

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      1. Noël de cette année, ça fait petite joueuse, je sais … Mais sinon, pour le pleistocène supérieur, j’ai Congo, une histoire, publié en 2010 ^-^

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  2. C’est un peu trop chargé tout ça ; c’est dommage parce que les affres que l’on doit ressentir en étant désignée comme jurée doivent être intéressantes en elles-mêmes.

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    1. C’est exactement ce qui m’intéressait, surtout que le procès des deux accusés est particulièrement troublant, mais il est survolé et en plus ( je spoile un peu), il y a un retournement de situation pendant les délibérations qui est vraiment peu crédible …

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  3. Dommage, ça aurait pu être intéressant !

    D’un côté, j’aimerais assister comme juré à un procès pour voir comment ça se passe. D’un autre côté, j’aurais bien peur de me tromper et de condamner un innocent.

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    1. Le roman évoque quand même cette difficulté et cette angoisse, mais sans en faire le sujet unique et du coup, j’ai été déçue. Le fonctionnement d’un procès en tant que juré doit être très perturbant mais aussi peut-être, passionnant. Je comptais m’en faire une idée par procuration, disons que c’est une petite idée ^-^ !

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    1. Oui, cela commençait très bien mais dès que l’histoire personnelle du personnage est évoquée, effectivement, mon intérêt a été distrait et s’est dilué. Ceci dit, il se lit très vite … ( ce qui n’est pas un argument, d’ailleurs)

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    1. Je tente de faire la même chose … Depuis deux mois, en plus je sors de ma pile tous les titres qui ne me disent plus rien et les rescapés, je les lis ! Ce titre faisait partie des rescapés. ^-^

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    1. Moi, ça me passionne, comme les faits divers, au point que je me demande parfois si ce n’est pas un peu pervers d’aimer autant plonger dans « la noirceur de l’âme humaine » … En tout cas, ce titre n’est pas pour toi, sans regrets !

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    1. Il est important de l’épargner ce porte monnaie, pour se faire plaisir avec des livres que l’on a envie de garder, de prêter … Pour celui-ci, c’était un cadeau de Noël et si il a des qualités, pour moi, ce fut quand même une déception, tu l’auras compris !

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