Le bon père, Noah Hawley

Paul Allen est rhumatologue, un spécialiste qui aime sa spécialité et gère ses diagnostiques avec rigueur : les faits sont les faits, et il faut les raccorder, sans en nier un seul. Il vit dans le Connecticut, un quartier huppé où il rentre après sa journée de travail à New-York. Un jeudi, soir de pizza rituelle, Fran sa femme, et ses deux fils, Alex et Wally, la préparent, à l’abri dans le cocon. Il explose lorsque sur l’écran de la T.V, des bandeaux déroulants et clignotants envahissent le jeu plan plan de questions réponses qui faisait l’arrière fond sonore de la tranquillité d’une soirée.

Un inconnu a tiré sur le charismatique candidat des républicains, lors d’un meeting sur un campus de L.A. Celui qui était, sûrement, le futur président des USA ne survivra pas à ses blessures. Le visage de l’inconnu apparaît et la vie de Paul bascule, le tueur présumé est Daniel, son fils aîné. Né d’un premier mariage mal assorti, Dany a grandi entre deux avions et moults disputes. Depuis un an, il avait quitté l’université et parcourait la « vraie Amérique », comme un nouvel hobo sur roues. Son père le suivait, comme toujours, de loin. Daniel ne se laissait pas facilement apprivoiser, mais c’était un jeune homme normal, marqué par le divorce de ses parents, mais sans traumatisme, sans attirance particulière pour la violence, pour les armes, sans déviance visible. (Il y a bien une histoire de collection d’araignées mortes, mais bon, si on commence à créer des centres de soins spécifiques à chaque fois qu’un ado se met à une passion étrange, on n’a pas fini. Fiston cachait des peaux de bananes séchées dans sa housse de couette et fifille cultive une fascination pour l’évolution moléculaire  des fonds de tasses de thé. Je persiste à croire qu’ils sont cependant normaux.)

Le roman retrace le parcours du père vers la vérité de son fils, et le parcours du fils vers son meurtre. Heureusement, on est loin du mythique Il faut qu’on parle de Kévin (heureusement pour mes nerfs …). D’abord, parce que l’on connaît dès le départ le crime de Daniel et ensuite, parce que le père est du bon côté. Malgré toutes les évidences, il croit à une possible innocence de son fils et mène une sorte d’enquête, notamment à charge contre lui même : ce qui a fait de lui un mauvais père. Il y applique la logique inverse de celle de son métier, la volonté de croire l’emportant sur celle de voir. Autour de lui, femme et amis ont admis, ce qui permet d’autant plus au lecteur d’être dans le recul, plus que dans l’empathie … On le regarde donc se débattre avec sa culpabilité, sans adhérer à ses partis pris affectifs, ce qui est beaucoup plus confortable que dans Il faut qu’on parle de Kévin.

L’autre intérêt de ce roman est les liens qui sont faits entre Daniel et d’autres tueurs de présidents ; les Kennedy, évidemment, mais pas que, et alors on s’aperçoit qu’il y en a un nombre certains, depuis Lincoln, sans compter les tentatives.

Ce qui fait froid dans le dos, c’est la facilité avec laquelle un jeune homme, normalement un peu fragile, se transforme en tueur rationnel, par la fréquentation de plus en plus assidue dans l’Amérique profonde, des armes à feu. Disponibles, accessibles, elles en viennent à représenter pour lui, le seul pouvoir d’être soi-même, d’être quelqu’un, la seule solution à son questionnement, le point final de sa quête.

 

15 commentaires sur “Le bon père, Noah Hawley

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    1. Il pourrait te plaire, ce n’est pas un roman coup de poing, mais il est intelligent, et ouvre des pistes de réflexion. En général, je n’aime pas dire cela d’un roman, comme si les autres ne le faisaient pas … Mais là, cela lui va bien.

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  1. Ah, Kevin, quel souvenir de lecture, un de ces romans qui vous collent à la tête pendant des semaines, certes inconfortable, mais quelle force !! Bon sinon, il a l’air pas mal du tout, ce bouquin..

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    1. Du coup, j’ai relu ma note sur Il faut qu’on parle de Kévin … j’ai vu que j’étais bien en dessous du trouble que ce livre avait provoqué en moi … La vache, j’en ai encore des frissons aujourd’hui ! Tu avais aussi vu le film, je crois ? Ce titre est plus rassurant pour le lecteur, mais quand même met un doigt là où cela peut faire mal. Surtout sur le fait qu’un ado un peu perdu, qui a accès aux armes, peut se trouver une légitimité dans leur possession. Ce qui n’est pas le sujet de Il faut qu’on parle de kévin, bien plus complexe (décidément, j’y reviens toujours à celui-là !) ,

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      1. Oui, j’ai vu l’adaptation ciné de Kevin, qui n’est pas mal, sans doute, mais qui ne pourra jamais susciter le trouble que provoque le roman. Et puis quand tu connais la fin, ça perd un peu de son sel, quand même… j’ai fait comme toi, du coup, j’ai relu ma note, punaise, c’que j’ai été bavarde sur ce coup-là ! Rien à voir mais j’ai eu ton retour sur la LC de Marai. OK pour le format « interview », je prépare quelques questions et je te les soumets ?

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      2. Je viens de relire ce que tu avais écrit sur Kevin, tu avais réussi à mettre les mots sur ce trouble prégnant que construit le livre, ( mais beaucoup moins le film, même si je me souviens de quelques scènes où l’ambiguïté des relations était patente, ce qui n’est pas évident à faire) .
        Pour le Marai, j’ai aussi quelques questions en tête, on fait comme tu dis, alors !

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    1. J’ai choisi ce livre par hasard, le thème m’a convaincue et je cherchais une lecture type polar pour l’été … Bon, ce n’est pas tout à fait cela non plus, mais finalement, c’est un titre tout fait recommandable !

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  2. J’en avais vaguement entendu parler. Ça risque de me plaire beaucoup, ce roman. Une question: pourquoi choisir de tirer sur un candidat républicain. Il y a une explication?

    Pour ce qui est des passions étranges des ados, ça fait aussi leur charme et leur spécificité! Les peaux de banane! MDR.

    « Il faut qu’on parle de Kevin »… Mon dieu, quel roman éprouvant et dérangeant. J’ai adoré (dans la mesure où c’est possible), tant le livre de Shriver que l’adaptation. Je n’ai jamais vu ni lu une telle incompatibilité entre une mère et son fils. Ça glace le sang.

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    1. Le fait que le candidat soit républicain n’a pas vraiment d’importance, c’est juste que c’est un candidat très charismatique, qui fait un peu penser à Obama, je suppose que l’auteur l’a conçu ainsi pour que le lecteur puisse avoir un repère.
      Il faut qu’on parle de Kévin est un de ces titres qui marquent, très dérangeant, très éprouvant mais magistral !

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  3. J’ai Kevin dans ma PAL depuis une éternité, on dirait que je ne suis pas pressée de m’y plonger. J’avais vu le film, qui m’avait plu. Ton titre d’aujourd’hui a l’air intéressant aussi. Le problème des armes à feu est tellement important aux Etats-Unis !

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    1. Même si les deux livres se ressemblent, le sujet est différent, je pense. Dans Il faut qu’on parle de Kévin, le centre est la relation mère fils et comment les actes du fils peuvent-ils être explicables, par cette relation ou pas … C’est un roman très ambigu …
      Ici, le centre est plutôt, justement, comment les armes et leur proximité, peuvent jouer un rôle dans la perception de la réalité par un jeune fragile, mais « normal ». La relation au père est importante, également, mais pas aussi vicieuse que dans Kévin, que je te conseille fortement !

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