Trust, Hernan Diaz

Stock_ticker,_Western_Union_-_Oakland_Museum_of_California_-_DSC05198Le sommaire de ce roman est un premier piège narratif, il faut le prendre en compte pour ne pas se croire dans un simple roman choral, parce que c’est bien plus malin que cela … « Obligations », la première partie, ou plutôt, le premier roman, a été écrit par Harold Vanner, l’auteur de « Ma vie » est l’autobiographie inachevée de Andrew Breevolt ( qui lui même était un personnage du premier roman, mais sous le nom de Benjamin Rash), la troisième partie est une autobiographie à deux temporalités, rédigée par Ida Partenza, qui inventa la voix d’Andrew dans « Ma vie » et la quatrième est un extrait du journal intime d’Hélène Breevort, femme d’Andrew, dont le mystère est au coeur des trois premiers récits. Il y a du Borgès dans cette construction où chaque récit réécrit le précédent, avec une thématique très peu borgésienne puisqu’il s’agit d’une intrigue dont le point central est le mécanisme de la finance, aux USA, avant et après le crash de 29. Mais pas que … ( j’ai bien dit que c’est super malin comme roman …)

On est donc à Wall Street, dont Andrew est l’un des maitres, issu d’une longue lignée de financiers, il en est le point culminant, celui qui a construit la toile d’araignée de son pouvoir et magnifié la spéculation au rang d’oeuvre d’art abstraite. Les points et les lignes des téléscripteurs sont les instruments de son immense fortune et sa maitrise de la bourse alimente les rumeurs, il serait le principal responsable du mardi et jeudi noirs. Point de mire des mondanités, il les fuit, déléguant l’organisation des fêtes nécessaires à son statut social à un subalterne qui a un peu plus de capacités relationnelles. C’est lors d’un dîner que le magnat misanthrope rencontre Mildred (alias Hélène dans le premier roman). Elle, elle est fille d’aristocrates dont la fortune  était si chancelante que ses parents se sont d’exilés en Europe. Si sa mère y a déployé des talents certains auprès des riches américains qui s’y prélassaient avant la première guerre mondiale, son père, lui,  a sombré quant à lui dans des pensées de plus en plus occultes. Hélène, brillante, surdouée même, lui doit cependant une culture atypique, elle manie les langues et dénoue les arpèges mathématiques comme une musique intime.

Ces deux solitudes sont le prétexte romanesque des quatre parties, récits et contre récits des trois personnages, et des réalités fragmentées qui s’y dévoilent : épopée du capitalisme, celui auquel le grand public n’a pas accès, celui qui, souterrain, laisse aux autres le masque des paillettes du luxe et de l’ostentation, et œuvre dans une ombre qui est nécessaire aux flux boursiers. La succession des récits tisse l’écheveau du vrai pouvoir, celui de la manipulation de la vérité, et de la réalité, car ce que veut Andrew, plus que tout, est d’imposer la sienne, d’empêcher un autre point de vue d’exister. Ai-je dit à quel point ce roman est super malin ? Parce que finalement, il n’est pas tant question de finances, que de manipulation de la réalité par la fiction crée par le pouvoir, le vrai, celui qui fait les discours. Mais, pour que le plaisir de lecture soit intact, on ne peut guère en dire davantage sur les ripostes qui ébranlent l’édifice fictionnel d’Andrew.

Ce n’est évidemment pas du tout un hasard si l’auteur a construit son récit pendant l’ère Trump, où l’on a vu la prolifération des fictions produire une autre histoire, falsifiée et nuisible … écartant les autres points de vue, les discréditant sans vergogne aucune, s’arrogeant en maitre de la réalité.

Un roman très malin (j’ ai bien failli me laisser coincée dedans, attention au passage entre la première partie et la seconde …) , piégeux, intelligent, à lire absolument !

24 commentaires sur “Trust, Hernan Diaz

Ajouter un commentaire

    1. Au loin est très différent de celui-ci, par le thème et aussi par la forme, mais il est excellent ! Si tu aimes les épopées et les anti héros … Dans Trust, la dimension politique est plus présente et résonne avec l’Amérique de Trump, même si l’action est située dans les années 30.

      J’aime

    1. Je comprends pour le thème … Les cours de la bourse, à priori, ce n’est pas mon truc. Mais l’auteur arrive à donner à cette réalité une dimension plus symbolique que technique (même si il y a quand même quelques pages absconses …)

      J’aime

    1. Ma librairie préférée avait besoin de lectrices pour les services presse de la rentrée littéraire, c’est pourquoi je l’ai lu durant l’été. Peut-être que ta médiathèque l’achètera assez vite, si il a du succès ? Pour l’instant, je n’ai pas vu beaucoup de notes passer, mais il y a tellement de nouveautés !

      J’aime

      1. Pas du tout désastreux ! Mais éclectiques, et on découvre de vraies curiosités chez toi. Même quand ce n’est pas dans mes gouts, il me plait toujours de voir ce que tu as déniché !

        J’aime

    1. Le sujet prend petit à petit un double sens, même si on n’évite pas quelques passages un peu techniques sur le fonctionnement de la bourse et que le propos de l’auteur se veut clairement politique. Mais une politique romanesque … Difficile d’en dire plus sans en dire trop !

      Aimé par 1 personne

  1. Roman malin (répété à plusieurs reprises^^), piège narratif, piégeux, intelligent ! Oouuh voilà qui devrait me plaire ! Ma curiosité est bien aiguisée en tout cas !

    J’aime

    1. Ben oui, malin … Je ne trouvais pas d’autres termes … On verra si d’autres blogueuses feront mieux que moi. En tout cas, j’espère bien que ce titre va faire parler un peu de lui ! Et que ta curiosité sera satisfaite.

      J’aime

    1. Contrairement à toi, effectivement, j’ai particulièrement aimé que la succession des récits nous amène, petit à petit, à une sorte de fabrique aux histoires, qui s’engendrent les unes les autres et montrent le pouvoir que les puissants tentent de prendre sur les mots, et pas seulement sur l’argent. Cela m’a fait vraiment penser à la façon dont Trump ( et d’autres) exercent la parole et finissent par changer la réalité perçue par ceux qui les écoutent.
      Tente Au loin, le premier roman de cet auteur, dont le sujet n’a strictement rien à voir, et dont l’écriture est également très différente, beaucoup moins factuelle.

      J’aime

Laisser un commentaire

Un Site WordPress.com.

Retour en haut ↑