Panorama, Lilia Hassaine, sous les pavés, les pages !

20100705_100529_escalierLe roman se situe en une époque où, selon la narratrice, les villes sont devenues des zoos pour éviter d’être des jungles. 20 ans auparavant, a eu lieu la Revenge week, sept jours d’insurrection pendant lesquels les victimes d’abus sexistes et sexuels se sont vengés de leur persécuteurs en les tuant, avec l’approbation des réseaux sociaux. Ces meurtres ont en effet été likés en toute « transparence citoyenne », mouvement de masse initié par une avocate et un architecte, Viktor Jouanet. Et c’est lui qui va lancer l’idée et la conception des maisons en verre. Des maisons totalement transparentes où chacun peut voir les autres vivre, où aucune violence ne peut être cachée. Non seulement les maisons individuelles, mais aussi les EPAD, les centres d’accueil pour adolescents … tous les espaces clos doivent être ouverts aux regards, ainsi, une nouvelle société s’est construite : chacun est garant de la sécurité de sa famille et de celle de ses voisins, cette sécurité prime sur le privé et l’intime. D’ailleurs, on fait l’amour dans des sarcophages qui ne se ferment que si chacun des partenaires a appuyé sur le bouton vert du consentement.

La transparence a permis un tel assainissement moral que la police n’a plus grand chose à faire, muée en gardienne de protection, la narratrice Hélène s’ennuie un peu. Même si, elle aussi, a choisi d’habiter une de ces maisons transparente, elle y a gagné un mari David, contraint à la fidélité, lui si volage jusqu’à ce qu’il se retrouve en cage, une fille qui ne connait plus guère la pudeur. La clandestinité étant devenue impossible, Hélène n’a plus de rivale, mais pas plus d’amour pour autant.

La transparence a divisé les villes en quartier, havres de paix pour les privilégiés, voire les ultras privilégiés, et les guettos à la périphérie, où les murs peuvent cacher des toxicos, mais aussi des formes de résistances à la dictature du tout en verre. Pourtant, contre toute attente, c’est dans le quartier modèle de la mixité morale, où l’on peut être homos, hétéros, célèbres, en toute tranquillité, ultra transparent, ultra riche de Paxton que le drame a eu lieu, une famille a disparu et personne n’a rien vu. Les Roger Dumas Rose, Miguel, et Milo se sont volatilisés de leur vivarium. Elle était peintre, lui faisait tâche dans le décor de ce quartier dont la transparence est la religion. Il vivait de petits boulots et avait tendance, dans les réunions de quartier a prendre le parti de l’accusé ( parce que dans cette société, quand on est vu, on est présumé coupable). De Milo, on ne sait pas grand chose, si ce n’est qu’un jour, à l’école, il a étranglé un oiseau blessé, sous les yeux de ses camarades horrifiés. Toute la maison est passée au blue star. En vain, il y a bien une minuscule tache de sang, mais Rose aimait tailler ses rosiers.

Les secrets sont fort bien gardés et les parois de verre les protègent. Et c’est vraiment le point fort du roman que cette cohérence entre le déroulé de l’intrigue et la problématique sociale que l’autrice a construite. En effet, pour résoudre cette affaire, Hélène devra se jouer des angles morts de cette morale perverse à la Black Mirror, où le populisme a remplacé la justice. De plus, les bases théoriques qui fondent la contre utopie sont incarnés par les différents personnages secondaires, il y a ceux qui ne doutent pas, les ultra orthodoxes, et ceux qui s’écartent et se refugient derrière les murs du guetto, pour pouvoir penser. Par contre, il leur manque un peu de vivacité, à ces personnages, de même qu’à l’intrigue policière, quelque peu désincarnée par l’analyse clinique qu’en fait Hélène. J’ai eu un peu l’impression d’évoluer dans un beau pavillon témoin, dont les bibelots du salon seraient les vices en puissance de notre société.

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29 commentaires sur “Panorama, Lilia Hassaine, sous les pavés, les pages !

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    1. Cette transparence est glaciale, et si le roman m’a semblé un peu plus faible en ce qui concerne la construction de l’intrigue policière, c’est aussi parce que je suis difficile en construction d’intrigues policières. Je crois qu’Ingannmic l’a choisi aussi pour ce challenge, peut-être qu’elle sera plus indulgente que moi ?

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  1. L’idée est vraiment bonne, mais j’ai un peu peur de m’ennuyer au bout d’un moment. Ton image d’un appartement témoin m’a l’air bonne. Ça ressemble à … mais il n’y a pas de vie.

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    1. En même temps, la transparence des murs induit des vies quelque peu stériles, puisque chaque geste peut être sujet à critiques ou à interprétations, ce qui fait que l’idée de départ est parfaitement illustrée … L’intrigue policière permet les péripéties, mais elle manque de souffle, à mon avis.

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  2. L’assainissement moral, ça fait peur… on est bien mieux à la campagne ma brave dame 🙂 D’ailleurs, je ne lis quasi que des trucs en lien avec la nature, l’écologie, l’environnement : ça ne va pas être facile pour le challenge…

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    1. L’assainissement moral épargnerait la campagne, tu penses ? ^-^
      C’est vrai que des maisons en verre planquées dans les champs aurait peu d’impact sur les vaches … Ton commentaire m’a fait imaginer des situations cocasses au fin fond de la Bretagne !
      Et l’écologie, l’environnement sont des thèmes liés à l’urbanisme, du moins,  » sous les pavés » l’entend ainsi, alors tu nous trouveras peut-être un biais ?

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    1. Oui, moi aussi, il n’a fait rire ! J’ai eu des flashs de campagne bretonne et de bonnes dames soumises à la loi de la transparence, ce ne serait pas sans résistance !
      Le roman évoque en effet la banlieue, non transparente, où l’on peut se cacher pour être plus libres. Le paradoxe est bien mis en place.

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    1. Il se lit très bien, j’ai été vraiment convaincue par la mise en place du monde « transparent », vraiment très efficacement et logiquement implanté dans un futur crédible. Un peu moins sur la fin, il est vrai … parce que les enjeux du roman sont déjà pliés.

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    1. Décidemment, j’ai du mal avec les sigles, c’est quoi RL ? Pour ce titre, malgré mes réserves, le temps de la lecture fut très prenant. Je sentais bien que l’intrigue allait tourner court, mais pas question de lâcher pour autant !

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    1. Ce qu’il y a d’intéressant dans la mise en place de ce contrôle, est que contrairement à d’autres romans que j’ai lus dans le style, il n’est pas descendant, mais horizontal, « autogéré » pourrait-on dire … Mais il est vrai que cela manque de passion !

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  3. J’ai été embarquée, effrayée en fait par ce roman glaçant. C’est vrai que je ne me suis pas attachée à l’intrigue policière, j’ai été happée par la découverte de cet univers qui paraît si réaliste !

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    1. Je te comprends bien, parce que moi aussi, l’univers m’a complétement convaincue. Le roman tire bien les ficelles de cette « dictature » de la bien pensance que l’on peut soupçonner dans certains comportements et prises de position actuels.

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    1. Je n’ai pas trouvé ta note sur ce titre dans ton blog. Mais peut-être que tu n’as pas encore rédigé ta note ? Si tu le souhaites, elle pourra être retenue pour le challenge « Sous les pavés, les pages ». En tout cas, tu m’as donné envie de lire « Tant que le café est encore chaud » !

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