Après une traversée trépidante de la ville de Maiduguri, au nord du Nigéria, traversée menée par Jibril, de sa chambre sauna où il tente une douche avare d’eau, puis par les rues où pauvreté et violence font des petits miséreux des proies faciles pour fonctionnaires véreux, le jeune homme s’installe dans le refuge relatif du Digital café. Là, dans une fraîcheur bleutée, la lumière des ordinateurs sculptent les visages tendus vers des arnaques rendues nonchalantes par les connexions internet instables.
Jibril, lui, vient là pour Bob Marley et sa chanson Exodus. En pianotant sur la toile, il découvre une autre histoire, une histoire de juifs, de blancs, celle des passagers de l’Exodus, une histoire d’exil qu’il lit comme une histoire de triomphe. La dédicace « Aux clandestins » lui ouvre un horizon qu’il fait sien, un hommage à la provocation que ces exilés ont lancé à la face d’un monde qui aurait bien voulu ne pas les voir.
Là, j’ai fait une courte pause. Déjà parce que j’étais à moitié essoufflée par la course de Jibril, la plongée dynamique dans l’univers Nigérian, le rythme donné par les toutes premières pages, vibrantes d’une urgence palpable, et par le culot de l’auteur. Comment allait-il raccorder les deux mondes ? Comment ? Ben, en jetant Jibril dans l’urgence de l’exil, à son tour. Contraint par la violence islamiste et l’incompétence indifférente de l’état Nigérian, qui laisse le nord du pays aux mains des fanatiques. Considéré comme un musulman tiède, Jibril met sa famille et son quartier en danger, il doit tout quitter, partir vers une « terre d’accueil », la capitale, puis l’Europe, dont il sait que pour les exilés clandestins, « l’accueil » n’est que mépris et défaite.
« Nous arrivons » inverse les moteurs du malheur et du désespoir en révolte et revendication. Ceux que le jeune homme emportera dans son projet, aidé par un subtil monsieur Pierre et une admirable Angéla, tous trois persuadés que le pire n’est jamais sur, ceux qui embarqueront sur son Exodus à lui, le feront en masse, pour devenir visibles, regardés et fiers, et non pas des vaincus cahotés par les courants comme les fétus négligeables d’une histoire qu’ils n’ont pas écrite.
Face à ce défi, le récit nous force à voir autrement, à admirer l’entreprise folle de Jibril : trouver le navire, l’équipage, les moyens pratiques d’embarquer 4000 candidats au delà du rempart liquide car « venir c’est notre façon à nous/ de nous rappeler à votre mémoire/ Vous oubliez si vite/ De faire valoir nos droits de l’homme/ Vous oubliez si vite ». Ainsi, l’auteur confronte nos bonnes consciences à une réalité bien plus gênante, car si pour nous, les pays africains peuvent paraître interchangeables, pauvres à égalité, pourris par la corruption politique et les guerres civiles, et même si nos regards sont de compassion et d’intérêt, dans ceux des exilés, il y a deux forces terribles, le désespoir et l’espoir. C’est cette dichotomie qui est ici pointée radicalement.
je ne connais pas du tout… J’espère qu’il n’est pas trop dur (sur le plan émotionnel) car je crois que j’ai atteint mon max
J’aimeJ’aime
C’est normal que tu ne connaisse pas, c’est un premier roman, qui n’est dur, malgré le sujet, mais au contraire, porté par une vision pleine d’espoir, qui détourne le misérabilisme.
J’aimeAimé par 1 personne
Un premier roman impressionnant. Nous partageons l’épopée de Jibril. Il faut se laisser envouter par le voyage. Une narration fine et très convaincante.
J’aimeJ’aime
Et ce n’est que le premier !
J’aimeJ’aime
tu dis plein d’espoir mais peut-être trop dur pour moi en ce moment.
J’aimeJ’aime
Bon, d’accord, la réalité évoquée, l’intégrisme, l’exil forcé, la violence et la misère, ce n’est pas gai … Mais l’auteur arrive à inverser notre regard, et c’est ce que j’ai trouvé particulièrement original. Et réussi !
J’aimeJ’aime
Merci pour la découverte : ce roman sur l’exil (ou faudrait-il dire les exils) a l’air passionnant.
J’aimeJ’aime