La vie en fuite, John Boyne

coverIl y a très longtemps, j’ai lu  « le garçon en pyjama rayé » et si je ne me souvenais pas vraiment des détails de l’histoire, j’avais en tête que ce titre abordait le sujet des camps d’extermination à travers la vision d’un petit garçon qui se situait de l’autre côté des barbelés. Mais en choisissant ce titre, je ne savais pas du tout qu’il en était en quelque sorte la suite. Bruno, le petit garçon qui n’aimait pas vivre à « Hoche vite » hante les souvenirs de la narratrice, Gretel, 91 ans, c’était son petit frère. Elle, elle désigne  « Hoche vite » par « l’autre monde », celui dont elle ne veut plus se souvenir. Son père, directeur du camp, a été pendu pour ses crimes, mais avant la toute fin de la guerre, Gretel et sa mère ont réussi à fuir et disposent d’un petit pactole pour voir venir. A 91 ans, Gretel porte toujours le poids des crimes paternels et la culpabilité de celle qui savait, qui a vu, qui a adhéré à cette vie. A 12 ans, elle est rentrée dans le camp avec son père et même si elle s’est cachée les yeux, elle sait qu’elle savait. 80 ans plus tard, donc, c’est une vieille femme qui vit très confortablement dans un immeuble d’un quartier très sélect de Londres. Elle s’appelle mrs Fersby, prend soin de Heidi, qui occupe l’appartement d’en face et perd un peu la tête, et guette l’arrivée des nouveaux voisins dans l’appartement numéro 1. Peu férue d’interactions sociales, elle redoute d’être dérangée par cette nouveauté et craint surtout le bruit que pourrait faire un enfant.

Le fait est que ce voisinage va faire intrusion dans le cours de ses souvenirs en construisant une histoire parallèle aux retour arrière de son parcours de fille de nazi ; une histoire de coups, de blessures et d’emprises complétement en décalage et dont on voit les grosses ficelles dès la première rencontre avec la jeune mère de famille, une réécriture de l’actrice type hollywood époque marilyn, fragile et paumée sur laquelle une sorte de doublure d’Harvey Weinstein tape sans retenue. Leur fils a 9 ans, évidemment ( l’âge de Bruno, le petit frère qui est passé de l’autre côté des barbelés), et évidemment, il est doux fragile et aime lire en solitaire L’île au trésor (comme le dit Bruno).

Le fil des souvenirs se dévide : Paris où elle se terre avec sa mère, nazie convaincue qui s’emmêle les pinceaux avec la réalité, et Gretel qui se vit en fille du diable mais dont les désirs d’adolescente sont coupés net par une scène de vengeance de résistants français complétement tirée par les cheveux … Ses fuites successives et ses tentatives d’oublis la mène en Australie pour un face à face avec un aide de camp de son père avec lequel, entre désirs et remords, elle joue une sorte de chantage à la dénonciation qui est fort bancal …

Bref, on est dans un truc qui ne tient pas debout, Gretel redoutant toujours que son anonymat ne soit levé et ceci jusqu’à la culbute finale où, face à un seul innocent qu’elle peut sauver, la vieille femme trouve une échappatoire quelque peu immorale et dévoile un autre secret invraisemblable. Il n’est pire aveugle que celle qui ne voit la culpabilité que sur le pas de sa porte … Et ce n’est pas le moindre des défauts de ce roman que de mettre en balance la rédemption individuelle à courte vue face à la responsabilité  juridique. D’autant plus qu’il me semble bien que le droit ne prévoit pas de procès pour les enfants de criminels, même pour crime contre l’humanité. ( je ne suis pas juriste mais j’ai un peu farfouillé pour être certaine de pas dire de bêtise)

Autant dire que l’on y retrouve pas du tout la morgue cynique mais flamboyante, de L’audacieux monsieur Swift, ni l’humanité tremblante du personnage de Tom, le prêtre de Il n’est pire aveugle.

18 commentaires sur “La vie en fuite, John Boyne

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    1. Je ne lis plus du tout de littérature jeunesse depuis des années. Et quand j’ai découvert John Boyne, je n’avais pas du tout fait le rapport, et même pour ce titre, il m’a fallu un moment avant de faire le rapport, et pourtant, c’était marqué sur le bandeau « par l’auteur de … » Dans la postface, il explique pourquoi il a écrit cette suite, mais bon, franchement, ce n’est pas convainquant.

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    1. Même si je me souviens peu du  » garçon en pyjama rayé », je me rappelle avoir été vraiment convaincue par le changement de point de vue utilisé. Tu l’as compris, ce n’est pas du tout le cas pour cette « suite ». Et c’est vrai que l’on est assez souvent déçue par ce principe, comme si l’auteur « remettait le couvert ». Une de mes grande déception fut la « suite » de « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur », une cata !

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    1. Il explique sa démarche dans la postface, mais je n’ai pas été sensible à ses arguments. Il vaut mieux aller vers ses romans plus « adultes » bien plus riches et drôlement mieux construits. J’avais été bluffée par « L’audacieux monsieur Swift » ! Si tu ne l’as pas lu, je te le conseille vivement. Il tourneboule le lecteur avec brio.

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  1. Ah zut, j’avais adoré Le garçon au pyjama rayé, et depuis, cet auteur est dans mes petits carnets. Je me réjouissais donc de cette suite, mais après lecture de ton billet, je ne vais pas prendre le risque d’être déçue.

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    1. Cet auteur est aussi dans mes carnets, et il le reste malgré cette déception. J’ai quand même l’impression que ces deux titres, « le garçon … » et cette suite, sont un peu à part par rapport aux autres romans.

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  2. C’est dommage toutes ces incohérences. Je n’ai pas lu « Le pyjama rayé ». Par contre, du même auteur, j’ai lu un roman beaucoup plus distrayant,  » Le syndrome du canal carpien », que j’ai apprécié.

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  3. Ton billet est très convaincant… pour permettre d’éviter ce roman bancal ! Je vois que personne ne cite Les fureurs invisibles du coeur qui était formidable (plus que son titre ne le laisse imaginer)

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    1. Passe tranquille ce titre ! Pour Boyne, j’ai l’impression qu’il n’est finalement pas souvent chroniqué, ou alors pas sur les blogs que je suis … C’est pourtant un auteur qui malaxe ses thèmes avec une profondeur dérangeante.

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  4. je ne sais pas si c’est le, même John Boyne mais j’ai aimé de cet auteur « les fureurs invisibles du coeur » un peu moins « l’audacieux Monsieur Swift »

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    1. Et si c’est le même auteur … Enfin, pas du tout en ce qui concerne l’intérêt de la lecture … Je n’ai pas encore lu « les fureurs invisibles du coeur mais je pense me le garder pour cet été. Je me souviens de tes réticences pour monsieur Swift, il est vrai que c’est un cynique personnage, mais la construction narrative m’avait épatée.

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    1. Le garçon au pyjama rayé est un livre classé jeunesse, je crois, au départ. Ce n’est pas le cas de celui-ci, et c’est presque dommage finalement.
      Pour creuser un peu, je te recommande « Il n’est pire aveugle » mais surtout « L’audacieux monsieur Swift », dans ceux que j’ai lus. « Les fureurs invisibles du coeur » m’a été vivement conseillé par une amie, et il l’est aussi dans les commentaires qui précèdent le tien.

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