La nuit du carrefour, Simenon

carte-postale-vichy-grand-hotel-des-bainsEn furetant sur mes étagères pour trouver un titre dont l’action se tiendrait dans un lieu défini, où l’espace définirait aussi l’intrigue, je suis tombée sur un vieil exemplaire, un peu solitaire, d’une anthologie de « tout Simenon » . Simenon, c’est un personnage, Maigret, mais c’est aussi un certain espace urbain. Après avoir hésité à relire « Le chien jaune » où, dans mes souvenirs, Concarneau est un véritable personnage, j’ai décidé de découvrir « La nuit du carrefour » qui me paraissait convenir à ce que je cherchais. Unité de temps, unité de lieu, et sans doute unité de l’intrigue (en fait pour l’intrigue, on peut dire qu’elle unique, mais dans le mauvais sens du terme, à ne pas reproduire, tellement elle est foutraque et peu crédible)

Le roman commence par installer ce carrefour, les trois maisons, la route, les champs vides autour, à perte de vue. Et en quelques lignes descriptives, on a tout. Il n’y a peut-être que cela de magistral dans ce Simenon, là, un concentré de savoir faire. Il y a le pavillon prétentieux, qui se veut villa, les rideaux en dentelles aux fenêtres, le jardin étroit, flanqué d’un grillage de plus de deux mètres de haut. La plaque indique, monsieur Michonnet, assureur. Et on sait qui sera Michonnet, rondouillard, franchouillard, sûr de son bon droit et pigeon parfait pour ces mêmes raisons. Madame Michonnet, forcément, sera derrière les rideaux, en bigoudis ou pas, mais en tout cas, les bibelots de salle à manger seront posés sur des napperons. De l’autre côté, il y a le garage, « édifié rapidement dans la fièvre des affaires » avec son garagiste, les mains dans les poches, toujours prêt à offrir le petit coup de rigueur. Pour l’instant, il n’est pas à la pompe, mais une voiture de sport y fait le plein à côté d’une voiturette de boucher qui attend une réparation. Pignon sur carrefour, deux mondes se croisent, la ruralité et le luxe, qui passe, s’arrête, repart vers Paris. En face, la grande maison, ancien domaine d’un gros fermier sûrement, c’est la villa des trois veuves, ceinte de hauts murs en pierres nobles, on n’en voit de la route que les fenêtres du premier étage, d’où on surplombe le théâtre des opérations, la route, le trafic, le garage et le pauvre Michonnet.

Pour parfaire l’ambiance, Simenon ajoute à cet espace déjà socialement bien planté des affiches publicitaires, pour l’eau de Vichy et les hôtels de luxe … Par hasard ? Le nom de cette ville acoquinée à un horizon bien loin de la ruralité du carrefour, rajoute à l’atmosphère noire et trouble : un lieu où la délation se masque derrière les façades de l’honorabilité d’une classe moyenne qui cherche à papillonner ailleurs …

Je l’ai relu plusieurs fois ce passage, m’étonnant de rarement faire cela pendant une lecture, prendre le temps de comprendre comment l’auteur plante un décor et donne les clefs de l’intrigue, car tout viendra de là, de la disposition triangulaire des trois maisons, de l’espace vide autour, de la route, des voitures flambant neuves qui croisent les camions qui montent aux Halles de Paris. Il faut dire que l’intrigue laisse l’esprit vagabonder vers les détails, vu que l’on comprend rapidement que mis à part l’espace, on ne va pas avoir grand chose d’autre à quoi se raccrocher. Une fille de mauvaise vie qui joue les femmes fatales, un faux-vrai aristocrate mystique qui joue le dindon de la farce, le Michonnet qui s’est laissé prendre à des filets trop gros pour lui, et un garagiste aux mains pleines et aux fréquentations douteuses … Maigret se laisse aller à faire le fier à bras, donne quelques coups de poings, et même tire quelques coups de révolver. Mis à part cela, madame Michonnet s’en tire pas mal, elle perd son mari mais pas les napperons.

Et finalement, c’est aussi un polar, challenge de Sharon !

pages pavés

20 commentaires sur “La nuit du carrefour, Simenon

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    1. Voilà un auteur qui a été un vrai pensum de lecture. Je ne peux pas expliquer pourquoi car tout le monde autour de moi vantait cet auteur .Et on m’a offert plusieurs titres que je n’ai pas du tout aimés.

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    2. Des ambiances à la Chabrol … J’adore ! C’est sombre, ça grouille de rideaux qui se tirent, des pas assourdis ! Je pense que je vais céder à la tentation du « Chien jaune » d’ici la fin du mois.

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    1. J’en ai beaucoup lu à une époque, plutôt adulte d’ailleurs … Plus jeune, je pensais que c’était du polar pour « vieux » et puis j’ai habité un moment au-dessus d’une bouquinerie, qui revendait les Simenon à 50 centimes. Un jour, j’ai ai acheté un, et le lendemain un deuxième … L’ambiance, oui, c’est pour cela qu’on le lit, je pense.

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    1. Forcément ! et je ne lui en veux pas du tout, ce titre a attiré mon attention sur le traitement du décor, ce que je n’avais jamais pris le temps de faire, prise par l’intrigue qui se noue si tranquillement … Mais comme là, je cherchais de l’espace, ce carrefour planté, c’est un vrai décor de cinéma.

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  1. Je n’ai pas beaucoup lu Simenon mais je ne me souviens pas non plus avoir été déçue. J’étais prévenue que ses intrigues doivent beaucoup à l’atmosphère des romans

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    1. Et aux décors qu’il plante aussi ! Dans « Le chien jaune », si mes souvenirs sont bons, la ville, et la pluie, sont partie prenante de l’intrigue. Tu entends le bruit des pas dans les ruelles pavées ! ( Décidemment, je vais le relire ! )

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  2. « Elle perd son mari mais pas les napperons », j’adore ! J’en ai lu pas mal dans ma jeunesse, mais pas celui-ci. Il me paraît tout-à-fait dispensable.

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    1. Pour les bigoudis de madame Simonet, on ne sait pas, par contre … Mais pas de doute qu’ils ont dû être un peu secoués !
      Ce n’est effectivement pas un Simenon indispensable, pour l’intrigue, du moins.

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    1. Je ne saurais pas dire quel est mon titre préféré de Simenon … Ils m’apparaissent comme un tout mais je garde quand même un souvenir assez prégnant de La fenêtre des Rouet, une nouvelle hors Maigret.

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