Là-haut vers le nord, Joseph Boyden

Un recueil de nouvelles qui m’avait marquée, il y a quelques années, je découvrais alors tout juste Louise Erdrich, et Boyden venait du même coin de littérature, celle des amérindiens d’après les cow-boy, loin des regards des blancs compatissants, deux voix qui se rejoignaient pour une incursion en des territoires laissés en friches et en misère : les réserves d’aujourd’hui, les amérindiens sans les plumes, les Cree, en réalité, plus précisément pour Boyden.

Toutes les histoires racontées ici prennent racine dans l’un de ces territoires-là , « là haut vers le nord », un vague géographique qui en dit déjà la méconnaissance et le mépris. Et en fait, peu de paysages en sont décrits ; juste qu’ il y fait froid en hiver et qu’en été, les mouches noires infestent les yeux et les oreilles.

Il y coule encore une rivière où murmurent encore quelques brochets et encore des souvenirs,  et quelques esprits rodent encore dans les bois, quelques tentes de sudation peuvent retenir les fantômes, mais les quatre points cardinaux cernent le malheur des personnages habitant en ce territoire qui a perdu toute identité : « Est : peine, Sud : ruine, Ouest : course, Nord : retour ».  Un tour d’horizon fermé en cercle car on ne s’évade pas de la réserve. « Vous savez ce que Jésus nous a dit, à nous Cree ? » blague Salvina  qui a tenté un envol cauchemardesque : »Surtout ne faites rien avant que je revienne ».

Rien, alors on y survit, on s’y cantonne, on y crève d’alcool, de sucres, de sniffs d’essence volée, de mépris, de misère sexuelle, de misère culturelle, de misère organisée à coups d’allocations gouvernementales. La scolarité forcée dans les pensionnats a coupé les enfants des parents, de leurs savoirs et de de leur langue pour les laisser vides, en errance entre un passé qu’ils ne connaissent plus et un futur qui n’a pas de formes. Des savoirs ancestraux, il reste des brides, des guenilles flottantes dans les têtes d’ivrognes de Langue peinte ou de Joe cul de jatte, ou dans celle du vieux aux chiens, ou encore dans celle de Dink, qui ne sait qu’en faire l’usage de la violence. Il leur reste quelques noms, prénoms, surnoms, quelques windigos, un tambour et un chant funèbre. Mais les visions ont été remplacées par le jeu, le Bingo, qui remplit les salles et vide les têtes d’autres rêves, le pénitencier du sud et la prochaine beuverie.

Pourtant, c’est un panorama humain, trop humain, et chaque personnage porte misère et malgré tout, dignité, même si les traces en sont fugitives, se dresser contre le barrage, le rêve d’un catcheur papillon, revenir là et broder des mocassins, redire la colère en un ultime concert, ne pas sombrer, tout simplement.

Des nouvelles partagées avec Jérôme, pour moi une relecture sans aucun bémol. (et pour lui aussi, j’en suis quasiment certaine)

 

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