L’air était tout en feu, Camille Pascal

troy_festin_de_didonCamille Pascal est un auteur qui vous revisite l’histoire comme on retire les masques de cire officiels pour découvrir le vivant en dessous … Et ça grouille de politique incarnée.

L’époque choisie cette fois est la Régence de Philippe d’Orléans, le tout début du XVIIIème. Dans l’imaginaire, la Régence ça fleure bon le libertinage, les parfums encore frivoles qui remplacent les relents de la conversion religieuse du vieux roi finissant sous les jupes de l’austère madame de Maintenon. Les miasmes d’une Versailles moribonde laissent place aux promesses de la jeunesse du très jeune futur Louis XV, enfin, auraient dû laisser place … Parce que si le Régent tente de maintenir la puissance politique de la France, ce n’est pas le cas de tous les princes qui gravitent autour du petit roi. Neveu du roi défunt, le Régent a la réputation sulfureuse mais son  sang est royal. Les autres, ce sont les bâtards : les fils de Louis XVI et de sa maitresse, madame de Montespan, dont sa dernière épouse fut la gouvernante et qui a si bien manœuvré que les fils illégitimes se sont retrouvés à deux doigts du droit à la succession au trône de France ….

Au moment où le récit commence, Phillipe d’Orléans a réussi à les en écarter, mais ils rodent toujours, soutenus par les perruques de la vieille cour et les girouettes du parlement de Paris. Enfin, disons que si ils rôdent, ils sont surtout dépassés par la femme de l’un d’entre deux, la duchesse du Maine, parfaitement incontrôlable, et on l’aura compris, l’intrigue de ce roman est essentiellement politique. Quelques orgies sont bien évoquées de temps en temps, lorsque le Régent retire sa perruque pour s’échapper de la scène publique, mais l’essentiel du romanesque est garanti par les imbroglios délirants noués par cette jeune femme, gorgée par l’orgueil et piquée par le mariage qui lui a été imposé avec le duc du Maine, personnage falot, le cadet des batardeaux.

Galvanisée par les faiblesses et les failles du régime du Régent, et sa propre conviction d’être une fine politique, celle qui est la petite fille du Grand Condé, petite aussi par la taille mais dont la conscience de son rang est surdimensionnée, se voit en rien de moins que la possible future régente, voire davantage … Il s’agit de rien de moins que de bouter le Régent hors du pouvoir, lui qui a humilié son mari en l’écartant de la succession au trône. . Du haut de sa petite cour de Sceaux, elle se voit comme une Jeanne d’Arc de l’esprit de l’ancienne cour, des anciens privilèges, de l’ordre immuable de la légitimité. Ce qu’elle n’a pas obtenu de la main droite, elle compte bien l’obtenir de la main gauche, prête à toutes les traitrises. Que ses machinations tortueuses puissent mettre à mal l’équilibre européen, voilà ce dont la Louise Bénédicte n’a ni cure, ni conscience. Mouche du coche qui pique dans l’écheveau des alliances entre grandes puissances sans raison garder …

L’auteur dresse de l’inconséquence de cette duchesse fantasque un tableau délicieux de satire. Dictatrice de l’ordre des mouches à miel, en son royaume de fêtes excessives, capricieuse, colérique, théâtrale, elle serait presque touchante si ses manœuvres n’étaient d’une bêtise crasse. Des danseries de Sceaux, elle lance des manœuvres alambiquées,  à charge pour ses comparses d’en ramasser les inepties. L’intrigue se déploie autour des complots, des Tuileries au Palais de l’Escorial où Philippe V, le dernier des survivants de la lignée légitime de Louis XIV, se débat avec ses démons, alternant nuit d’assauts conjugaux et séance de flagellations. En ces temps où le pouvoir côtoie la folie, le Régent et son alter égo de l’ombre, l’abbé Dubois finissent par apparaitre comme deux figures de la raison, même si ils ne crachent pas eux non plus, sur quelques coups de putes …

La toile d’araignée est finement tissée et pour les amateurs de politiques en dentelles empoisonnées, c’est un régal ! D’autant plus que la langue de l’auteur manie les surprises stylistiques avec délectation. Le « beau style » s’orne de formules à la Saint Simon, disant d’une entourloupe magistrale qu’il « ne restait plus qu’à finir de torcher le jambon » ou d’un magistrat terrorisé que « ses genoux s’entrechoquaient au point de donner le tournis à ses bas de soie ».

Après  La nuit des quatre rois, et La chambre des dupes, l’auteur construit une fois de plus, un roman qui nous fait relire l’histoire et ses bascules … Diablement intelligent !

Merci aux éditions Robert Laffont qui m’ont permis de lire rapidement ce roman !

14 commentaires sur “L’air était tout en feu, Camille Pascal

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    1. C’est également mon cas … Et à chaque fois, c’est un vrai plaisir de découvrir les tuyauteries de l’histoire. Et avec un style qui m’épate, très fluide et en même temps rigoureux. Ca passe tout seul !

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    1. Je suis très contente de l’avoir lu rapidement !! Et avec le même plaisir que les deux premiers. J’avoue une petite préférence pour L’été des quatre rois, parce que je connaissais mal la période historique et que je ne n’y intéressais pas du tout, et que l’auteur me la rendue passionnante !

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    1. Les deux premiers sont en poche, et sont aussi passionnants l’un que l’autre ! Tu peux choisir selon la période historique qui te motive le plus. Et puis, l’écriture est solide, très prenante.

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  1. j’ai adoré 🙂 j’apprécie de lus en plus cet auteur qui a un immense talent de conteur et donne envie, livre après livre d’en savoir plus sur le sujet traité 🙂 c’est devenu un incontournable pour moi 🙂
    conquise par la Duchesse du Maine que je connaissais peu 🙂

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    1. Et c’est effectivement ce qui est conté … L’auteur insiste souvent sur le décalage entre les apparences policées et les manipulations et pièges tendus en dessous. Le jeu politique est son affaire ! Et c’est passionnant. (et drôle)

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